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14 novembre 2023Lecture 9 minutes

Le droit d’accès aux informations et l’étendue de la mission de l’expert du CSE lors des consultations récurrentes

Lors de ses consultations récurrentes, le Comité Social et Economique (CSE) peut se faire assister d’un expert-comptable rémunéré par l’employeur. Au cours de ces derniers mois, la Cour de cassation a apporté des précisions importantes visant à circonscrire voire limiter l’accès aux informations et l’étendue de la mission que l’expert peut conduire.

 

Le cadre légal du recours à l’expertise

Le CSE peut mandater un expert-comptable en vue des trois consultations récurrentes visées à l’article L. 2312-17 du Code du travail:

  • les orientations stratégiques de l’entreprise,
  • la situation économique et financière de l’entreprise,
  • la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l'emploi.

La Cour de cassation rappelle dans un arrêt du 20 septembre 2023, qu’en l'absence d'accord d’entreprise, seul le CSE central est consulté chaque année sur la situation économique et financière de l'entreprise et qu’il n’y avait donc aucun droit à expertise du CSE d'établissement. En d’autres termes, l’expertise CSE ne peut être sollicitée qu’au même niveau que celui de la consultation. (Cass. soc. 20 sept. 2023, n° 21-25.233)

 

L’étendue de la nature des informations et documents auxquels l’expert a accès

L'article L. 2315-83 du Code du travail dispose que « l'employeur fournit à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission ».

Les missions de l'expert-comptable lors des consultations récurrentes du CSE sur les orientations stratégiques, la situation économique et financière de l'entreprise et la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi portent sur tous les éléments d'ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à la réalisation de la mission.

Encore faut-il que les informations et documents réclamés par l’expert existent. En d’autres termes, l'expert-comptable ne peut exiger que les documents existants effectivement et ne peut demander que soient réalisés des notes, synthèses ou rapports spécifiques pour les besoins de la consultation en question. Par conséquent, l'entreprise peut refuser d'élaborer des documents qui n'existent pas et qui ne sont pas obligatoires. Les deux conditions sont cumulatives. (Cass. soc., 9 mars 2022, n° 20-18.166)

Il est du reste intéressant de noter que l'article R. 2312-7 du Code du travail prévoit que « la base de données [à savoir la BDESE] prévue à l'article L. 2312-18 permet la mise à disposition des informations nécessaires aux trois consultations récurrentes prévues à l'article L. 2312-17 ».

On pouvait en déduire que les informations et documents auxquels l’expert a accès se limitaient à ceux mis à disposition dans la BDESE. Or, telle n’est pas la position de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 23 mars 2022, la Cour de cassation avait déjà approuvé les juges du fond d’avoir ordonné à l’employeur la communication à l’expert-comptable, sous astreinte, des DSN et DADS sur 5 ans lors de la consultation récurrente sur la politique sociale de l’entreprise, alors que ces documents spécifiques ne sont pas visés parmi les documents obligatoires à transmettre dans la BDESE. Pour la Cour de cassation, l’analyse de l’évolution de la rémunération dans toutes ses composantes et l’analyse de la politique de recrutement et des modalités de départ, en particulier des ruptures conventionnelles et des licenciements pour inaptitude, entrent dans la mission de l’expert désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, ce qui justifie la communication à l’expert du CSE les DADS et DSN pour remplir à bien sa mission. (Cass. soc. 23 mars 2022, n° 20-17.186)

Dans deux arrêts récents du 23 avril 2023, la Cour de cassation réaffirme que l'information à laquelle a accès l'expert désigné par le CSE dans le cadre de sa consultation sur la politique sociale de l'entreprise ne se limite pas à l'information à laquelle a accès le CSE dans le bilan social et la BDESE en vue de cette consultation, mais peut porter sur d'autres données si elles sont nécessaires à la mission de l'expert. (Cass. soc. 23 avril 2023, n °21-25.563 et n° 21-24.208)

Ainsi, l’expert du CSE peut demander la communication de documents et informations concernant les autres sociétés du groupe dans le cadre de la consultation récurrente sur la situation économique et financière de l’entreprise. (Cass. soc. 1er juin 2023, n° 21-23.393)

Pour justifier cette position, la Cour de cassation rappelle que dans le cadre de sa mission, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que le Commissaire Aux Comptes (CAC) de l'entreprise. Dans la mesure où les dispositions du Code du commerce fixant les modalités d’exercice de la mission du CAC prévoient que les investigations peuvent être faites tant auprès de la personne ou de l'entité dont les comptes doivent être certifiés que des personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle, l’expert du CSE peut donc accéder informations et documents concernant les autres entités du même groupe.

Cette solution n’est pas nouvelle dans la mesure où l’ancienne jurisprudence sur les comités d’entreprise avait déjà reconnu à l’expert-comptable le pouvoir de mener ses investigations auprès des autres sociétés du groupe, même des sociétés étrangères appartenant au groupe, dès lors que la filiale française ne fait pas valoir l’impossibilité de les produire.

 

La limitation du pouvoir d’auditionner les salariés

L’expert, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, ne peut procéder à l’audition de salariés qu’il juge utile à la réalisation de sa mission qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés. (Cass. soc. 28 juin 2023, n° 22-10.293)

Dans cette affaire, un expert-comptable souhaitait mener ses travaux exclusivement via des entretiens avec les salariés. Sa lettre de mission visait ainsi l’audition de 25 salariés pour une durée de 1h30 chacun. L’ensemble des entretiens devait être mené sur une période de 5 à 6 jours. L’employeur s’était opposé à la conduite de ces entretiens et notamment, peut-on penser, parce que ces entretiens devaient se dérouler pendant le temps de travail des salariés, surenchérissant ainsi le coût final à supporter.

La Cour de cassation rappelle alors que l'expert-comptable désigné lors de cette consultation a libre accès dans l'entreprise pour les besoins de sa mission et que l'employeur fournit à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission.

Elle en conclut que « l'expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, s'il considère que l'audition de certains salariés de l'entreprise est utile à l'accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu'à la condition d'obtenir l'accord exprès de l'employeur et des salariés concernés. »

Ainsi, un accord cumulatif de l’employeur et des salariés est exigé par la Cour de cassation qui pose un tel principe pour la première fois à notre connaissance. A noter que cette solution n’est rendue que s’agissant de la consultation récurrente sur la politique sociale de l’entreprise. Qu’en sera-t-il des autres cas de recours à une expertise qui pourraient nécessiter de tels entretiens tels qu’une consultation du CSE sur une situation de « risque grave, identifié et actuel », discrimination salariale ou d’un harcèlement ? Des précisions jurisprudentielles seront les bienvenues.

 

La limitation temporelle des documents et informations auxquels l’expert-comptable peut accéder

Dans un arrêt du 1er juin 2023, le CSE d’une société appartenant à un groupe avait décidé en juin 2021 de recourir à un expert-comptable en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise au titre de l'année 2020. L’expert-comptable avait alors adressé sa lettre de mission au président du CSE en précisant que sa mission porterait sur les 5 exercices comptables et qu’elle traiterait de la situation du groupe et de la situation de la société au sein du groupe.

La société contestait la lettre de mission de l’expert et sollicitait du Président du Tribunal Judiciaire la réduction de sa mission à la limite temporelle triennale telle que prévue dans la BDESE pour la remise d’informations au CSE.

En première instance, le Président du Tribunal Judiciaire avait rejeté cette demande en estimant que la limite temporelle fixée par l'article R. 2312-10 du Code du travail pour la mission de l’expert ne concernait que les pièces et informations communicables et non sa mission qui pouvait ainsi être étendue.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui considère que cette expertise devait porter sur l'année qui fait l'objet de la consultation et les deux années précédentes ainsi que sur les éléments d'information relatifs à ces années, et ce sans remettre en cause les éléments prospectifs. (Cass. soc. 1er juin 2023, n° 21-23.393)

La Cour confirme l’alignement, qu’elle a établi, entre les limites temporelles des documents figurant dans la BDESE et les informations auxquelles l'expert a accès. (Cass. soc., 25 mars 2020, n° 18-22.509)

En effet, l’article R. 2312-10 du Code du travail dispose qu’« en l'absence d'accord prévu à l'article L. 2312-21, les informations figurant dans la base de données portent sur l'année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu'elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes. »

Pour mémoire, l’article L. 2312-19 du Code du travail autorise l’employeur et les partenaires sociaux à négocier : « le contenu, la périodicité et les modalités des consultations récurrentes du comité social et économique mentionnées à l'article L. 2312-17 ainsi que la liste et le contenu des informations nécessaires à ces consultations ».

Peut-on alors imaginer que les partenaires sociaux puissent priver le CSE du droit de recourir à l’expert par accord collectif ? Une réponse négative s’impose.

En revanche, est-ce qu’un accord collectif peut limiter les années sur lesquelles portent les consultations récurrentes, et symétriquement l’espace-temps du droit d’accès de l’expert ? Il nous semble que oui.

Ainsi, une consultation annuelle pourrait par exemple revenir à circonscrire le droit d’accès de l’expert à l’année en cours et à celle passée outre prospectivement celle à venir, tandis qu’une consultation triennale ouvrirait logiquement un champs plus vaste.