La procédure en inaptitude médicalement constatée : grand corps malade
Malgré les réformes successives et en particulier celle de la loi Travail du 8 août 2016 dans l’objectif de « moderniser la médecine du travail », la procédure de déclaration d'inaptitude au travail demeure sujet à un contentieux important, comme en témoignent les décisions récentes de la Cour de cassation.
L’inaptitude physique est constatée médicalement par le médecin du travail. La consultation d’un médecin autre que le médecin du travail, tel que le médecin traitant ou la décision de classement en invalidité par la sécurité sociale ne peut pas y être substituée.
Quel est le fait générateur de cet avis d’inaptitude ?
L’avis d’inaptitude peut être formulé à la suite de toute visite médicale, notamment :
- de la visite de reprise après un arrêt de travail résultant d’une absence d’au moins 60 jours pour maladie ou accident non-professionnel,
- de l’examen médical d’aptitude lors de l’embauche (ou lors des examens périodiques) pour les salariés relevant du suivi médical renforcé,
- d’un examen médical dans le prolongement de la visite d’information et de prévention (dans les 3 mois de l’embauche ou avant l’affectation sur le poste pour certains salariés) ou dans le cadre du suivi médical périodique,
- d’une visite à la demande de l’employeur ou du salarié qui anticipe un risque d’inaptitude, y compris pendant un arrêt de travail ou du médecin du travail lui-même (Cass. soc. 24 mai 2023, n° 22-10517).
L’avis d’inaptitude du médecin du travail peut être contesté devant le Conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond dans un délai de 15 jours. En l'absence d'un tel recours, l’avis du médecin du travail s'impose aux parties et au juge saisi de la contestation du licenciement pour inaptitude.
La Cour de cassation considère ainsi que le salarié ne pouvait plus contester la légitimité de son licenciement pour inaptitude au motif que le médecin du travail aurait utilisé un terme inexact pour désigner son poste de travail puisqu’une telle contestation devait avoir lieu en amont dans le délai de 15 jours de l’avis d’inaptitude. (Cass. soc. 25 octobre 2023, n° 22-12.833)
Quels sont les conséquences de l’avis d’inaptitude médicalement constaté pour l’employeur ?
Lorsqu’un salarié fait l’objet d’un avis d’inaptitude, l’employeur doit chercher un poste de reclassement approprié à ses capacités.
Cette proposition doit prendre en compte, après avis du Comité Social et Economique (CSE), les conclusions écrites du médecin du travail et les indications que celui-ci formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. (Article L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail)
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie :
- soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions décrites ci-dessus,
- soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions,
- soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Lorsque le salarié n’est ni reclassé, ni licencié au terme du délai d’un mois à compter de la réception de l’avis d’inaptitude, l’employeur doit reprendre le paiement du salaire dès l’expiration de ce délai. Ce principe de la reprise du salaire ne souffre d’aucune exception, ni suspension.
Ainsi, l'exercice d’un recours judiciaire contre l’avis d’inaptitude ne suspend pas le délai d'un mois imparti à l'employeur pour reprendre le versement du salaire et ne reporte pas son point de départ. (Cass. soc. 10 janvier 2024, n° 22-13.464)
De même, le fait que l’employeur ait respecté son obligation de reclassement en proposant au salarié déclaré inapte un emploi tenant compte de l'avis du médecin du travail ne le dispense pas de reprendre le paiement du salaire à l’expiration du délai d’un mois à compter de l’avis d’inaptitude. (Cass. soc. 10 janvier 2024, n° 21-20.229)
Cette rigueur se reflète également dans la procédure de licenciement à mettre en œuvre par l'employeur en cas d'avis d'inaptitude. En effet, le salarié déclaré inapte ne peut être licencié pour un motif autre que l'inaptitude et notamment, il ne sera pas possible de le licencier pour motif disciplinaire ou pour un motif économique autre que la cessation totale et définitive d’activité. (Cass. soc. 14 février 2024, n° 21-24.135 ; Cass. soc. 28 février 2024, n° 22-23.568)
L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a loyalement proposé au salarié un autre emploi répondant aux caractéristiques précitées, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail. Ainsi, un salarié peut être licencié s’il refuse un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, même s’il en résulte une baisse substantielle de sa rémunération, d’un temps plein à un temps partiel conformément aux préconisations du médecin du travail. (Cass. soc. 13 mars 2024, n° 22-18758 ; Cass. soc. 26 janvier 2022, n° 20-20.369)
Dans un arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation considère qu’un avis d’inaptitude établi par le médecin du travail qui précise que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi permet à l’employeur de licencier ce salarié sans consulter le CSE, ni à effectuer des recherches de reclassement. La Cour de cassation en déduit ainsi que seul le contenu de l’avis d’inaptitude détermine les obligations de l’employeur. (Cass. soc. 7 février 2024, n° 22-12967)
En dépit de ces dernières clarifications salutaires de la Cour de cassation, il est fort à parier que le contentieux de la procédure d’inaptitude continuera à proliférer, notamment sur les situations d’inaptitude s’inscrivant dans un contexte présumé de souffrances au travail ou harcèlement moral avec des salariés qui cherchent à faire reconnaître le caractère professionnel de leur pathologie. La reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie revêt une importance capitale, non seulement pour leur propre prise en charge médicale et financière, mais aussi pour le calcul des indemnités de départ, mettant en lumière la nécessité d'une procédure plus précise pour garantir une juste appréciation de la situation médicale dans ces circonstances complexes.