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24 octobre 2022Lecture d'16 minutes

Retour sur les obligations et enjeux découlant du Décret Tertiaire à l'occasion de la (nouvelle) tolérance accordée pour l'envoi des déclarations

Initialement prévue pour le 30 septembre 2022, la première échéance relative à la nouvelle obligation annuelle de transmission des données de consommations énergétiques des immeubles a été décalée au 31 décembre 2022 (via un communiqué de presse du ministère de la transition écologique en date du 22 septembre 2022).

Ce délai de grâce a été accordé notamment en raison de la complexité des obligations nouvelles découlant du décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire (dit « Décret Tertiaire »).

L’occasion se présente donc de livrer une synthèse des enjeux, obligations et sanctions découlant de ces textes.

Pour mémoire, le Décret Tertiaire s’inscrit dans un objectif d’amélioration de la performance énergétique du secteur tertiaire initié par la loi Grenelle II n° 2010-788 du 12 juillet 2010 et concrétisé par la loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018. Cette ambition a été réaffirmée par la loi Energie-Climat n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, qui vise la neutralité carbone en 2050, puis par la loi Climat-Résilience n° 2021-1104 du 22 août 2021, qui prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030.

L’enjeu énergétique est de taille pour le secteur de l’immobilier et du bâtiment puisqu’il représente environ 25 % des émissions totales de CO2 et pas moins de 40% de la consommation d’énergie au niveau national. Le législateur a ainsi fixé (dès 2010 et la loi Grenelle II) un objectif final consistant à tendre vers la construction et l’exploitation de bâtiments dits « à énergie positive » (ou « Bepos ») qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment.

Nous proposons de décomposer et d’analyser ici les enjeux plus immédiats qui se présentent dans le cadre du Décret Tertiaire pour les acteurs de l’immobilier.

Nous ferons, à plusieurs reprises dans les lignes qui suivent, référence à la « foire aux questions » du site OPERAT (la « FAQ »). Cette FAQ n’a qu’une simple valeur informative mais elle constitue une source non négligeable d’éclaircissements et a le mérite d’apporter souvent des solutions concrètes aux modalités d’application d’un dispositif législatif et réglementaire qui comporte de nombreuses zones d’ombre.

1. Présentation générale du champ d’application et des objectifs

L’objectif du législateur, est de parvenir à une réduction de la consommation d'énergie finale pour l'ensemble des bâtiments entrant dans le champ d’application du Décret Tertiaire (voir section 1 du tableau de synthèse).

Les différents paliers à respecter (qui se mesurent en seuils exprimés en kWh/m²/an) peuvent être synthétisés comme suit :

Decret tertiaire

Deux critères permettent de déterminer si un actif se trouve concerné par les obligations susvisées. Le Décret Tertiaire a en effet vocation à s’appliquer aux bâtiments :

  • d’activités tertiaires (quelle que soit leur année de mise en service) ; et
  • dont la surface est supérieure ou égale à 1.000 m² – voir section 1 du tableau de synthèse, notamment pour une définition des « activités tertiaires ».
2. Méthodes permettant de parvenir aux objectifs : deux options

Pour parvenir aux objectifs de réduction de consommation susvisés, les assujettis ont le choix entre deux options :

  • Option 1 dite « objectif valeur relative » : une diminution calculée par rapport à une consommation énergétique de référence (laquelle ne peut être antérieure à 2010) – voir section 2 du tableau de synthèse ;
  • Option 2 dite « objectif valeur absolue » : une diminution calculée par rapport à un seuil exprimé en valeur absolue en fonction de la catégorie du bâtiment – voir section 2 du tableau de synthèse.

En ce qui concerne la stratégie entre ces deux options la FAQ livre quelques pistes. Cet arbitrage pourra en effet être effectué notamment en fonction de l’état et de l’historique des travaux réalisés sur le bâtiment :

  • « l’objectif en valeur relative sera plus favorable aux bâtiments, parties de bâtiments ou ensemble de bâtiments n’ayant pas encore entrepris d’actions de réduction de leur consommation énergétique, alors que
  • l’objectif en valeur absolue est destiné plutôt à ceux qui ont déjà entrepris des actions de leur réduction de leur consommation énergétique ou pour les bâtiments récents et les bâtiments rénovés performants (type BBC Rénovation). »

Pour ceux des assujettis ayant choisi l’option « objectif valeur relative » il sera par ailleurs sans doute plus intéressant de choisir, pour année de référence, l’année avec la consommation d’énergie la plus haute (à condition d’en avoir la possibilité). De la même manière, en cas de réalisation de travaux de rénovation énergétique, la stratégie sera de choisir l’année précédant immédiatement la réalisation de tels travaux – voir section 2 du tableau de synthèse.

3. Modulation possible (mais encadrée) des objectifs

Le Code de la construction et de l’habitation (le « CCH ») offre la possibilité de moduler les objectifs précités (sous réserve notamment de l’élaboration d’un dossier technique) en fonction :

  • des contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales relatives au bâtiment ;
  • d’un changement d'activité exercée dans le bâtiment ;
  • de coûts manifestement disproportionnés des actions par rapport aux avantages attendus en termes de consommation d'énergie finale.

Voir section 2 du tableau de synthèse.

4. Mutualisation des résultats : un impact potentiellement significatif sur le marché

Le CCH et l’arrêté « Méthode » du 10 avril 2020 ont envisagé la possibilité, destinée aux investisseurs immobiliers, de mutualiser l’ensemble des actifs d’un même patrimoine. L’idée est ici de pouvoir compenser certains actifs insuffisamment performants (en termes de consommation énergétique) avec d’autres actifs, plus vertueux que le standard imposé – voir section 2 du tableau de synthèse.

Cette possibilité poussera peut-être certains investisseurs à classer leur patrimoine d’actifs immobiliers en fonction de leurs consommations énergétiques respectives afin de permettre des arbitrages basés sur ces critères et éviter ainsi les sanctions prévues par le dispositif du Décret Tertiaire. La mise en place de telles stratégies pourrait avoir un impact considérable sur la liquidité de certains actifs plus ou moins vertueux. Cet impact potentiel sur le marché de l’investissement dans les prochaines années n’est sans doute pas à minimiser.

5. Obligation de saisie et collecte : émergence de tiers prestataires spécialisés

Les obligations de collecte et de déclaration des consommations auprès de l’agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (dite ADEME) via la plateforme OPERAT (voir section 2 du tableau de synthèse ci-joint) a provoqué, au cours de ces dernières années, l’apparition de nombreuses entreprises spécialisées. Ces entreprises ont particulièrement vocation à accompagner les investisseurs immobiliers professionnels. Leur offre englobe le plus souvent la collecte des données, la réalisation des déclarations et, dans certains cas, l’élaboration de plans d’actions permettant d’aboutir aux objectifs de réduction de consommation énergétique.

Les contrats passés avec ces tiers spécialisés prévoient souvent une transférabilité en cas de changement de propriétaire. Leur impact sur la valorisation des actifs n’est donc pas à négliger.

6. Responsabilités et sanctions

A la question de savoir sur qui, entre le propriétaire et le locataire / exploitant, pèse l’obligation de réduction de la consommation les textes, volontairement ou non, répondent de manière assez imprécise.

L’article L. 174-1 II du CCH dispose en effet que :

« Les propriétaires (…) et, le cas échéant, les preneurs à bail sont soumis à l'obligation prévue au I pour les actions qui relèvent de leurs responsabilités respectives en raison des dispositions contractuelles régissant leurs relations. Ils définissent ensemble les actions destinées à respecter cette obligation et mettent en œuvre les moyens correspondants chacun en ce qui les concerne, en fonction des mêmes dispositions contractuelles ».

Le propriétaire est mentionné en premier lieu. Doit-on comprendre de l’expression « le cas échéant » que la responsabilité du preneur (mentionné en second lieu) n’est que résiduelle, ou subsidiaire ?

Sur ce point, la FAQ donne une partie de réponse, relative au volet déclaratif (FAQ - QA2) : « pour la partie déclarative, il semblerait plus cohérent que ce soit l’exploitant de l’établissement, [i.e., le preneur en cas de bail] qui porte la responsabilité de la déclaration de l’ensemble des consommations énergétiques car affectées à l’entité fonctionnelle concernée. »

En tout état de cause les parties à un bail (commercial notamment) devront soigneusement prévoir une répartition des rôles et responsabilités dans le cadre de leur contrat – l’article précité du CCH les y invite d’ailleurs. Un certain nombre de clauses, rédigées à cet effet, ont déjà fait leur apparition sur le marché depuis la publication du Décret Tertiaire.

En ce qui concerne les sanctions applicables (voir section 3 du tableau de synthèse) il est intéressant de noter qu’à l’heure de la comptabilité en triple capital (financier, social et environnemental), le législateur a mis l’accent, au-delà de sanctions pécuniaires classiques, sur un dispositif de type « Name and Shame » puisqu’il prévoit la possibilité d’une publication de l’identité du contrevenant sur le site internet dédié des services de l’Etat.

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