Responsabilité des produits défectueux : une nouvelle directive européenne pour s’adapter aux évolutions technologies et favorable aux victimes
L’Union européenne a adopté la nouvelle Directive n° 2024/2853 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et abrogeant la directive 85/374/CEE.
Après sa transposition dans le droit national des Etats membres, elle modifiera de manière significative le régime applicable à la responsabilité du fait des produits. Elle s’appliquera aux produits mis sur le marché ou mis en service deux ans après la date de son entrée en vigueur, soit le 9 décembre 2026.
Cette directive vise à adapter le régime actuel issu de la directive n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985, adoptée il y a près de 40 ans et partiellement obsolète. Il s’agit de prendre en compte le développement du e-commerce, des nouvelles technologies (produits connectés, logiciels, intelligence artificielle…), et de renforcer le droit à indemnisation des victimes en facilitant leurs recours.
Les principales modifications apportées par la nouvelle directive sont les suivantes :
- Elargissement de la définition des « produits » et « composants » concernés par le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux (article 4) : en plus de couvrir les biens physiques, la nouvelle directive couvrira désormais également les logiciels, et s’appliquera donc, par voie de conséquence, aux systèmes d’intelligence artificielle.
Afin de prendre en compte le développement de l’Internet des objets, la Directive prévoit que les services numériques intégrés ou interconnectés à un produit seront considérés comme des « composant » de produits. Ils seront donc également soumis à ce titre à la responsabilité du fait des produits défectueux.
- Extension de la liste des préjudices indemnisables (article 6) : une personne lésée pourra désormais obtenir réparation en cas d’atteinte médicalement reconnue à sa santé psychologique ou de destruction ou corruption de données utilisées à des fins autres que professionnelles.
Outre ceux déjà prévus dans la directive n° 85/374/CEE, des nouveaux dommages pourront donc être indemnisés. En revanche, les pertes purement économiques, les atteintes à la vie privée ou la discrimination ne font pas partie des dommages indemnisables.
- Prise en compte de nouveaux critères pour apprécier la défectuosité d’un produit (article 7) : la directive prend en compte les nouveaux facteurs de risques pouvant conduire un produit à dysfonctionner. En plus des critères existants, le texte prévoit que le juge devra également prendre en compte les éléments suivants pour apprécier si un produit présente un défaut :
- La capacité du produit à poursuivre son apprentissage ou à acquérir de nouvelles caractéristiques après sa mise sur le marché (cela concerne notamment les produits intégrant une solution d’intelligence artificielle) ;
- L’effet raisonnablement prévisible sur le produit d’autres produits utilisés conjointement avec le produit (cela concerne les produits connectés) ;
- Les exigences applicables en matière de cybersécurité.
- Extension de la liste des personnes pouvant être tenues responsables en cas de produits défectueux (article 8) : en plus du fabricant et de l’importateur du produit déjà visés par le régime actuel, la personne lésée pourra également mettre en cause le représentant du fabricant au sein de l’Union Européenne (si le fabricant est établi hors UE) ou, en l’absence d’importateur ou de mandataire établi dans l’Union européenne, le « prestataire de services d’exécution des commandes » (c’est-à-dire une personne étant intervenue dans la chaîne de distribution du produit pour fournir des services d’entreposage, de conditionnement, d’étiquetage, d’expédition d'un produit…).
Lorsqu’aucune de ces personnes ne peut être identifiée, le distributeur du produit défectueux ou le fournisseur de la plateforme de commerce en ligne ayant permis la vente du produit pourront être tenus responsables sous certaines conditions.
L’objectif de la nouvelle Directive est de faciliter les recours et de s’assurer qu’au moins une personne pourra systématiquement être tenue responsable des dommages causés par un produit défectueux.
- Introduction de règles ayant pour objet de faciliter l’obtention de preuves par le demandeur (article 9) : les Etats membres devront veiller à ce qu’une personne lésée ayant présenté des éléments suffisants pour démontrer que son droit à réparation est « plausible » pourra demander au juge d’ordonner au défendeur de divulguer les éléments de preuve pertinents dont il dispose.
- De tels mécanismes existent naturellement déjà en droit français. En transposant la directive, le législateur français pourrait toutefois décider de les renforcer, voire de créer de nouveaux outils d’obtention forcée de preuve en s’inspirant par exemple de la « discovery » existant aux Etats-Unis.
- De tels mécanismes existent naturellement déjà en droit français. En transposant la directive, le législateur français pourrait toutefois décider de les renforcer, voire de créer de nouveaux outils d’obtention forcée de preuve en s’inspirant par exemple de la « discovery » existant aux Etats-Unis.
- Création de plusieurs présomptions facilitant la preuve du défaut et/ou du lien de causalité : par exemple, la défectuosité du produit pourra être présumée lorsque le demandeur démontre que le dommage a été causé par un dysfonctionnement « manifeste » du produit.
Le défaut et/ou le lien de causalité pourra également être présumé lorsque le demandeur :
- Fait face à des « difficultés excessives, notamment en raison de la complexité technique ou scientifique » de l’affaire pour prouver le défaut et/ou le lien de causalité ; et
- Démontre que l’existence du défaut et/ou le lien de causalité est « probable ».
- Création d’un nouveau délai butoir de 25 ans (article 17) : le régime actuel prévoit qu’aucune action ne peut être introduite par le demandeur plus de 10 ans après la mise sur le marché du produit (sauf, en droit français, en cas de faute du producteur). Ce délai sera étendu à 25 ans lorsque le préjudice corporel de la personne lésée est resté latent et ne s’est pas révélé au cours des dix premières années suivant la mise sur le marché, de sorte que la victime n’a pas été en mesure d’agir dans le délai butoir de dix ans prévu par le régime actuel.
Ce texte est le fruit d’un processus législatif lancé le 28 septembre 2022 par la Commission européenne. La proposition de directive a été adoptée en première lecture par le Parlement européen le 12 mars 2024 puis par le Conseil le 10 octobre 2024. L’acte final a été publié au Journal officiel de l’Union Européenne le 18 novembre 2024.
Les états disposent d’un délai classique de deux ans pour transposer le texte. Ainsi, il faut s’attendre à une entrée en vigueur de la loi de transposition de cette directive le 9 décembre 2026, si les délais de transposition sont respectés. Le nouveau régime ne s’appliquera pas aux produits déjà vendus, mais uniquement aux nouveaux produits mis sur le marché ou mis en service après l’entrée en vigueur de la loi de transposition.