|

Ajouter un favori pour commencer

Website_Hero_Abstact_Architectural_Ceiling_P_0089_Mono
22 janvier 2024Lecture 10 minutes

Retour sur les obligations et les enjeux découlant du Décret Tertiaire à l'occasion de la publication de l'Arrêté « Valeurs Absolues III »

L’enjeu énergétique est de taille pour le secteur de l’immobilier et du bâtiment puisqu’il représente environ 25 % des émissions totales de CO2 et pas moins de 40% de la consommation d’énergie au niveau national.

Le législateur souhaite modifier cette réalité. Il a pour ce faire, fixé aux acteurs de l’immobilier un objectif ambitieux consistant à tendre vers la construction et l’exploitation de bâtiments dits « à énergie positive » (ou « Bepos ») – qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment (loi Grenelle II du 12 juillet 2010, complétée par la loi ELAN du 23 novembre 2018). Cette ambition de rendre l’industrie immobilière plus « verte », a été réaffirmée à travers la loi Energie-Climat du 8 novembre 2019, qui vise la neutralité carbone en 2050, puis par la loi Climat-Résilience du 22 août 2021, qui prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030.

Face à cette inflation législative (et réglementaire), nous avions proposé une analyse des enjeux concrets du dispositif issu du décret du 23 juillet 2019 (dit « Décret Tertiaire »), pour les acteurs de l’immobilier.1 Pour mémoire le Décret Tertiaire a notamment été successivement complété et amendé par :

  • l’Arrêté « méthode» (du 10 avril 2020) lequel a plus concrètement mis en place le dispositif prévu par le Décret Tertiaire ; puis par
  • l’Arrêté « valeurs absolues I » (du 24 novembre 2020) qui a complété les modalités d’application des obligations notamment au niveau des informations à faire remonter sur la plateforme de recueil et de suivi (dite « OPERAT ») et a fixé des objectifs exprimés en valeur absolue pour certaines activités tertiaires (bureaux, enseignement primaire et secondaire, logistique de froid) ; puis par
  • l’Arrêté « valeurs absolues II » (en date du 13 avril 2022) qui a intégré des modifications concernant les dispositions d’ajustement climatique, ainsi que celles concernant la modulation des objectifs pour contraintes techniques architecturales ou patrimoniales, ou pour disproportion économique ; et désormais par
  • l’Arrêté « valeurs absolues III» (en date du 28 novembre 2023) dont la principale fonction est de préciser des objectifs (applicables à horizon 2030 et exprimés en valeur absolue) pour certaines activités du tertiaire qui n’avaient pas encore été couvertes par les Arrêtés valeurs absolues I et II, à savoir :
    • l’hôtellerie
    • les résidences de tourisme et villages ou clubs de vacances
    • les restaurant et débits de boissons
    • les data centers.

Il est à noter que :

  • les dispositions de l’Arrêté valeurs absolues III sont entrées en vigueur dès le 11 décembre 2023 (à l’exception des articles concernant l’ajout du gazole non routier, dont l’entrée en vigueur est décalée au 1er février 2024) ;
  • les commerces, initialement visés par le projet d’Arrêté valeurs absolues III, ont finalement été exclus, vraisemblablement dans l’attente d’un prochain arrêté destiné à cette classe d’actifs ;
  • un futur Arrêté « valeurs absolues IV », dont le principal objet sera de préciser des objectifs exprimés en valeur absolue pour d’autres activités du tertiaire (blanchisserie, logistique de température ambiante, santé, justice, sports et stationnement),a été mis en consultation du 27 octobre au 21 novembre 2023.

Nous ferons à plusieurs reprises référence, dans les lignes qui suivent, à la « foire aux questions » du site OPERAT (la « FAQ »). Cette FAQ n’a qu’une simple valeur informative mais elle constitue une source non négligeable d’éclaircissements et a le mérite d’apporter souvent des solutions concrètes aux modalités d’application d’un dispositif législatif et réglementaire qui comporte toujours de nombreuses zones d’ombre. 

 

  1. Présentation générale du champ d’application et des objectifs

L’objectif du législateur, est de parvenir à une réduction de la consommation d'énergie finale pour l'ensemble des bâtiments entrant dans le champ d’application du Décret Tertiaire (voir section 1 du tableau de synthèse).

Les différents paliers à respecter (qui se mesurent en seuils exprimés en kWh/m²/an) peuvent être synthétisés comme suit :

Decret Tertiaire graph

Deux critères permettent de déterminer si un actif se trouve concerné par les obligations susvisées. Le Décret Tertiaire a en effet vocation à s’appliquer aux bâtiments :

 

  1. Méthodes permettant de parvenir aux objectifs : deux options

Pour parvenir aux objectifs de réduction de consommation susvisés, les assujettis ont le choix entre deux options :

  • Option 1 dite « objectif valeur relative» : une diminution calculée par rapport à une consommation énergétique de référence (laquelle ne peut être antérieure à 2010) – voir section 2 du tableau de synthèse ;
  • Option 2 dite « objectif valeur absolue» : une diminution calculée par rapport à un seuil exprimé en valeur absolue en fonction de la catégorie du bâtiment – voir section 2 du tableau de synthèse

En ce qui concerne la stratégie entre ces deux options la FAQ livre quelques pistes. Cet arbitrage pourra en effet être effectué notamment en fonction de l’état et de l’historique des travaux réalisés sur le bâtiment :

  • « L’objectif en valeur relative sera plus favorable aux bâtiments, parties de bâtiments ou ensemble de bâtiments n’ayant pas encore entrepris d’actions de réduction de leur consommation énergétique, alors que
  • L’objectif en valeur absolue est destiné plutôt à ceux qui ont déjà entrepris des actions de leur réduction de leur consommation énergétique ou pour les bâtiments récents et les bâtiments rénovés performants (type BBC Rénovation). »

Pour ceux des assujettis ayant choisi l’option « objectif valeur relative » il sera par ailleurs sans doute plus intéressant de choisir, pour année de référence, l’année avec la consommation d’énergie la plus haute (à condition d’en avoir la possibilité). De la même manière, en cas de réalisation de travaux de rénovation énergétique, la stratégie sera de choisir l’année précédant immédiatement la réalisation de tels travaux – voir section 2 du tableau de synthèse.

 

  1. Modulation possible (mais encadrée) des objectifs 

Le Code de la construction et de l’habitation (le « CCH ») offre la possibilité de moduler les objectifs précités (sous réserve notamment de l’élaboration d’un dossier technique) en fonction :

  • des contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales relatives au bâtiment ;
  • d’un changement d'activité exercée dans le bâtiment ;
  • de coûts manifestement disproportionnés des actions par rapport aux avantages attendus en termes de consommation d'énergie finale.

Voir section 2 du tableau de synthèse.

 

  1. Mutualisation des résultats : un impact potentiellement significatif sur le marché

Le CCH et l’Arrêté « Méthode » du 10 avril 2020 ont envisagé la possibilité, destinée aux investisseurs immobiliers, de mutualiser l’ensemble des actifs d’un même patrimoine. L’idée est ici de pouvoir compenser certains actifs insuffisamment performants (en termes de consommation énergétique) avec d’autres actifs, plus vertueux que le standard imposé – voir section 2 du tableau de synthèse.

Cette possibilité poussera peut-être certains investisseurs à classer leur patrimoine d’actifs immobiliers en fonction de leurs consommations énergétiques respectives afin de permettre des arbitrages basés sur ces critères et éviter ainsi les sanctions prévues par le dispositif du Décret Tertiaire. La mise en place de telles stratégies pourrait avoir un impact considérable sur la liquidité de certains actifs plus ou moins vertueux. Cet impact potentiel sur le marché de l’investissement dans les prochaines années n’est sans doute pas à minimiser.

 

  1. Obligation de saisie et collecte : émergence de tiers prestataires spécialisés

Les obligations de collecte et de déclaration des consommations auprès de l’agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (dite ADEME) via la plateforme OPERAT (voir section 2 du tableau de synthèse ci-dessous) a provoqué, au cours de ces dernières années, l’apparition de nombreuses entreprises spécialisées. Ces entreprises ont particulièrement vocation à accompagner les investisseurs immobiliers professionnels. Leur offre englobe le plus souvent la collecte des données, la réalisation des déclarations et, dans certains cas, l’élaboration de plans d’actions permettant d’aboutir aux objectifs de réduction de consommation énergétique.

Les contrats passés avec ces tiers spécialisés prévoient souvent une transférabilité en cas de changement de propriétaire. Leur impact sur la valorisation des actifs n’est donc pas à négliger.

 

  1. Responsabilités et sanctions

A la question de savoir sur qui, entre le propriétaire et le locataire / exploitant, pèse l’obligation de réduction de la consommation les textes, volontairement ou non, répondent de manière assez imprécise.

L’article L. 174-1 II du CCH dispose en effet que :

« Les propriétaires (…) et, le cas échéant, les preneurs à bail sont soumis à l'obligation prévue au I pour les actions qui relèvent de leurs responsabilités respectives en raison des dispositions contractuelles régissant leurs relations. Ils définissent ensemble les actions destinées à respecter cette obligation et mettent en œuvre les moyens correspondants chacun en ce qui les concerne, en fonction des mêmes dispositions contractuelles ».

Le propriétaire est mentionné en premier lieu. Doit-on comprendre de l’expression « le cas échéant » que la responsabilité du preneur (mentionné en second lieu) n’est que résiduelle, ou subsidiaire ?

Sur ce point, la FAQ donne une partie de réponse, relative au volet déclaratif (FAQ - QA2) : « pour la partie déclarative, il semblerait plus cohérent que ce soit l’exploitant de l’établissement, [Et donc le preneur en cas de bail] qui porte la responsabilité de la déclaration de l’ensemble des consommations énergétiques car affectées à l’entité fonctionnelle concernée. »

En tout état de cause les parties à un bail (commercial notamment) devront soigneusement prévoir une répartition des rôles et responsabilités dans le cadre de leur contrat – l’article précité du CCH les y invite d’ailleurs. Un certain nombre de clauses, rédigées à cet effet, ont déjà fait leur apparition sur le marché depuis la publication du Décret Tertiaire.

En ce qui concerne les sanctions applicables (voir section 3 du tableau de synthèse) il est intéressant de noter qu’à l’heure de la comptabilité en triple capital (financier, social et environnemental), le législateur a mis l’accent, au-delà de sanctions pécuniaires classiques, sur un dispositif de type « Name and Shame » puisqu’il prévoit la possibilité d’une publication de l’identité du contrevenant sur le site internet dédié des services de l’Etat.


1 « Retour sur les obligations et enjeux découlant du Décret Tertiaire à l'occasion de la (nouvelle) tolérance accordée pour l'envoi des déclarations » - 25 octobre 2022