Droit de préemption Pinel, l'acquéreur évincé serait donc privé du droit de demander la nullité ?
Le droit de préemption du preneur à bail commercial introduit par la loi du 18 juin 2014 dite « Loi Pinel », et qui alimente déjà une importante doctrine ainsi que les réflexions des praticiens, risque encore de faire parler de lui à l’occasion d’une décision inédite rendue par la 1ère chambre du Pôle 4 de la Cour d’Appel de Paris en date du 16 décembre 2022 (n° 21/07772).
Cette décision est l’occasion de rappeler certaines caractéristiques du droit de préemption.
Elle a surtout le mérite de traiter pour la première fois le sort de l’acquéreur évincé à la suite de l’exercice du droit de préemption par le locataire en place.
L’acquéreur qui a signé une promesse de vente sous condition suspensive de purge de ce droit de préemption a-t-il la possibilité de solliciter la nullité de la vente passée avec le locataire si ledit droit de préemption n’était pas applicable et n’aurait pas dû être purgé ?
C’est à cette problématique que la Cour d’Appel s’est confrontée avec évidemment en ligne de mire une nullité potentielle de la vente et donc une remise en question des accords signés et toutes les conséquences qui en résultent.
En l’espèce, les consorts [I] ont consenti, en leur qualité de bailleur, un bail commercial à la société LPE portant sur des locaux à usage de bureaux situé au 1er étage d’un immeuble ainsi qu’une cave et ce, à compter du 18 septembre 2014.
Souhaitant céder la propriété des locaux pris à bail, le bailleur a, par l’intermédiaire de son notaire et préalablement à la signature de la promesse de vente, procédé à la notification au preneur de son intention de vendre lesdits locaux loués moyennant un prix de vente de 881.500 €.
Ladite notification a été adressée le 7 février 2019 et réceptionnée le 11 février 2019, soit préalablement à la promesse de vente consentie au profit de la société 2Chenier et signée le 18 février 2019.
La notification en amont de la signature de la promesse de vente est parfaitement valable et conforme à la lettre de l’article puisque le législateur a expressément prévu la temporalité de cette notification en prévoyant que cette dernière doit être faite au preneur « lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci ». Cette exigence a donc été parfaitement respectée par le bailleur – vendeur.
Cette exigence légale était toutefois difficile à respecter en pratique puisqu’elle venait à imposer des notifications avant même la signature d’une promesse ou même la désignation d’un agent. Cela était incompatible avec la vie des affaires et, fort heureusement, la Cour de cassation est intervenue pour apprécier cela. Désormais, il est admis que la purge de ce droit de préemption puisse être érigée en condition suspensive d’une promesse de vente. La haute juridiction considère en effet que le propriétaire est en droit de conclure une promesse unilatérale avec un tiers avant d’adresser l’offre au locataire en conditionnant la vente à l’absence de levée d’option de la part du locataire1 . Cette solution est évidemment transposable à une promesse de vente synallagmatique.
Par ailleurs, ce cas d’espèce nous permet également de rappeler que la notification effectuée au preneur reste valable quand même bien l’avant-contrat et, en toute logique la vente qui en suivra, intervient à un prix supérieur à celui proposé. Le législateur ne prévoit en effet une nouvelle notification que si les conditions sont plus avantageuses (article L. 145-46-1, alinéa 3, du code de commerce). En l’occurrence, la promesse a été conclue moyennant un prix de 882.000 € alors que la notification du projet de vente avait été formulée au prix de 881.500 €.
Une fois ces rappels effectués, il convient de s’intéresser au réel apport de cet arrêt et à l’intérêt de la question soulevée dans cette affaire à la Cour d’Appel de Paris.
L’acquéreur évincé est-il privé de la possibilité de demander la nullité de la vente passée par le locataire ayant exercé son droit de préemption ?
La Cour d’Appel y apporte une réponse claire et concise qui soulève toutefois des questions.
En réalité la Cour d’Appel était confrontée à deux questions :
- Ce droit de préemption est-il applicable ?
- Si non, le fait de l’avoir purgé inutilement ouvre-t-il droit à l’acquéreur évincé de soulever la nullité de la vente ?
Le droit de préemption était-il applicable au cas d’espèce ?
S’agissant du bail en question, la Cour d’Appel énonce que ce dernier « a été intitulé ‘Bail de locaux commerciaux’ alors qu’il porte expressément sur un local à usage de bureaux destiné à l’exercice d’une activité libérale d’expertise comptable et de commissariat aux comptes ». Elle ajoute que « cet intitulé ne suffit pas à établir que les parties ont eu la volonté de soumettre le contrat au statut des baux commerciaux ». Elle en conclue que le preneur « ne pouvait bénéficier du droit de préemption prévu par ce texte ».
Si on suit le raisonnement de la Cour d’Appel, on comprendrait que cette dernière ferait de la soumission conventionnelle au statut des baux commerciaux une condition nécessaire à l’applicabilité du droit de préemption et à son invocabilité par le locataire.
Un tel raisonnement est faux et contraire aux critères dégagés par la jurisprudence.
En effet, la simple soumission conventionnelle est insuffisante pour caractériser l’applicabilité ou non du droit de préemption. Ce qu’il est nécessaire de caractériser c’est l’exercice par le preneur dans les locaux d’une activité commerciale ou artisanale2 .
La Cour d’Appel n’a pas recherché ici si cette exigence était satisfaite et s’est contentée d’affirmer que ce droit n’était pas applicable uniquement parce qu’il n’était pas manifeste que les parties ont entendu soumettre le bail au statut des baux commerciaux.
Elle a, selon nous, commis une erreur de droit en ne recherchant pas si le preneur exerçait ou non une activité commerciale ou artisanale dans les locaux pour apprécier l’applicabilité ou non de ce droit de préemption.
La décision de la Cour d’Appel surprend également en ce qu’elle ne se prononce pas là où elle aurait pu apporter un éclairage contrairement à d’autres décisions précédemment rendues notamment par la Cour d’Appel de Bordeaux le 18 mars 2021 (CA Bordeaux, 2e ch., 18 mars 2021, n° 18/09890) et plus récemment par la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 20-11.893, FS-D).
Dans ces affaires, les juges avaient refusé l’application du droit de préemption, offert par erreur par le bailleur – vendeur comme dans notre cas d’espèce, en raison d’une absence d’identité parfaite entre le bien loué et le bien vendu. Dans le cas présent, la Cour d’Appel ne sanctionne pas la purge inapplicable du droit de préemption purgé par erreur. A notre connaissance, c’est une première.
Le fait d’avoir purgé inutilement ce droit de préemption permet-il à l’acquéreur évincé de soulever la nullité de la vente ?
C’est la seconde question à laquelle les juges étaient confrontés et c’est sans doute celle qui fera le plus parler s’agissant des conséquences pratiques que cela induit.
Les parties à l’acte de promesse de vente avaient pris le soin d’insérer une condition suspensive de purge de ce droit de préemption. C’est donc signe qu’ils considéraient cela comme opportun.
Dans ce cas de figure, deux hypothèses se dessinent : soit le locataire ne donne pas suite à l’offre de vente en n’exerçant pas son droit de préemption et auquel cas le droit de préemption est purgé, la condition suspensive est réalisée et la vente est formée, soit le locataire répond favorablement à l’offre de vente formulée par le bailleur - vendeur et la condition suspensive est défaillie, la promesse devenant ainsi caduque.
Au cas d’espèce, le locataire a accepté l’offre mais ce droit de préemption n’aurait pas dû être purgé d’après les motivations des juges.
La Cour d’Appel considère, dans ce cas, que la vente est parfaite et que l’acquéreur évincé n’a pas qualité pour demander la nullité de cette vente.
La sécurité juridique de l’acquéreur évincé s’en trouve pour le moins amoindrie.
Non seulement l’acquéreur évincé n’est pas recevable à demander la nullité mais de surcroît, ce droit ne serait réservé qu’au vendeur d’après la Cour d’Appel.
Selon la Cour d’Appel, la nullité de la vente sur le fondement de l’exercice d’un droit de préemption inapplicable ne serait dès lors couverte que par une nullité relative, ouverte au profit de la sauvegarde des seuls intérêts du vendeur, à l’exception de tout autre tiers dont l’acquéreur évincé.
Sans le dire, la Cour d’Appel de Paris fait en l’espèce une application de l’article 1181 du code civil qui dispose que « la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger ».
Dès lors, outre le vendeur, on imagine que le locataire pourrait également être une partie que la loi entend protéger et donc bénéficier de cette action et que seul l’acquéreur évincé en serait privé. Cela n’est pas dit par l’arrêt mais c’est une conséquence logique.
D’après les motivations de la Cour d’Appel de Paris, l’acquéreur évincé n’aurait donc pas qualité à agir. Ce vocable, emprunté aux termes de la procédure civile est discutable et contestable à plusieurs titres. En qualité de cocontractant de la promesse de vente, les juges auraient pu considérer que l’acquéreur avait un intérêt à agir, mais peut être que la contestation aurait dû être portée sur un autre fondement.
Attendons désormais de voir si la décision est portée à la connaissance des juges de la Haute Cour pour avoir le fin mot de l’histoire. En attendant, la prudence sur cette question reste de mise pour les acquéreurs.
1Cass. 23 septembre 2021, n° 20-17.799
2CA Orléans, ch. Com., 10 mars 2022 n° 20/01235 ; CA Aix-en-Provence, ch. 1 1, 20 novembre 2018, n° 17/04435