La protection des slogans par le droit des marques : parce qu’ils le valent bien ?
Cet article a été initialement publié dans Agefi Luxembourg en juin 2021 et est reproduit avec l'autorisation de l'éditeur.
Un slogan est une phrase publicitaire concise et originale, conçue en vue d’inscrire dans l'esprit du public le nom d'un produit ou d’une entreprise. Il évoque un engagement, revendique une identité et affiche une déclaration d’intention. C’est donc un élément de marketing et de communication majeur, mais qui pourtant ne bénéficie, d’un point de vue juridique, que d’une protection relative. Cette situation conduit les entreprises à développer diverses stratégies, reposant notamment sur le droit d’auteur, la concurrence déloyale et le droit des marques, aucune de celles-ci n’étant malheureusement parfaite.
Parmi les différents régimes ci-avant évoqués, le droit des marques constitue sans doute la « valeur refuge », son système de protection par enregistrement auprès d’un Office étant souvent le mieux connu des entreprises. Le dépôt du slogan à titre de marque présente en effet l’avantage de lui conférer une date certaine – celle de son dépôt – et d’acquérir un monopole d’exploitation pendant 10 ans renouvelables.
Or, force est de constater que marques et slogans ne font pas toujours bon ménage, le caractère promotionnel ou laudatif des slogans étant régulièrement considéré comme un obstacle à certaines des conditions essentielles de validité juridique d’une marque, telles que sa distinctivité et sa fonction de garantie d'origine de produits ou services.
Quels sont les critères d’enregistrement d’un slogan à titre de marque ?
Pour être susceptible de protection en tant que marque, un slogan, comme tout autre signe, doit être distinctif, c’est-à-dire qu’il doit être capable de différencier les produits et/ou les services d’une entreprise de ceux de ses concurrents (article 4 du Règlement (UE) n° 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne). A contrario, un slogan sera refusé à l’enregistrement notamment s’il est dépourvu d’un tel caractère distinctif, et/ou s’il est composé exclusivement d’indications servant à décrire les produits/services visés par la marque ou leurs qualités.
La jurisprudence communautaire a par ailleurs précisé que la capacité d’un slogan à constituer une marque devait être appréciée comme pour n’importe quel autre type de marque, sans qu’il y ait lieu d’ajouter des critères de validité supplémentaires (CJCE, 21 octobre 2004, C-64/02). A cet égard, la pratique a pu dégager un faisceau d’indices permettant de déterminer si un slogan possède un caractère distinctif. Ainsi, l’aptitude d’un slogan à constituer une marque valable serait accrue lorsque celui-ci :
- constitue un jeu de mots, et/ou
- introduit des éléments de tension conceptuelle ou de surprise, de sorte qu’il puisse être perçu comme imaginatif, surprenant ou inattendu, et/ou
- possède une originalité ou prégnance particulière, et/ou
- déclenche chez le public pertinent un processus cognitif ou un effort d’interprétation.
A titre d’exemple, a été refusé le slogan « Das Prinzip der Bequemlichkeit » (« Le principe du confort ») déposé pour désigner notamment des véhicules terrestres et des meubles d’habitation. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (« TPICE ») a en effet considéré que le slogan servait d’indication pour désigner la qualité des produits concernés : autrement dit, le slogan était descriptif (TPICE, 11 décembre 2001, T-138/00).
Le slogan ne doit pas seulement être dépourvu de caractère usuel ou descriptif, il ne peut pas non plus se borner à délivrer un message informatif ou promotionnel de portée générale. En ce sens, a été refusé le slogan « Real People, Real Solutions » pour des services du secteur informatique. Dans ce dernier cas, si le lien entre les services visés et le slogan n’apparaissait pas nécessairement évident, le TPICE a cependant considéré que le signe était inapte à être perçu comme indication d’une origine commerciale particulière et qu’il s’agissait d’une information « purement promotionnelle et abstraite » (TPICE, 5 décembre 2002, T-130/01).
Dans le même sens, le slogan « looks like grass… feels like grass… plays like grass » ne peut constituer une marque pour désigner des gazons synthétiques, parce qu’il se limite à informer le client de langue anglaise que le produit a des caractéristiques voisines de celles de l’herbe (TPICE, 31 mars 2004, T-216/02).
Si la protection du slogan « Safety 1st » a été refusée pour des jouets, c’est parce que le consommateur ne devrait percevoir celui-ci que « comme une information relative à une qualité ou à une caractéristique de ces produits, indiquant que les considérations de sécurité ont joué un rôle prépondérant dans la conception et fabrication desdits produits. […] Le même consommateur ne percevra donc pas d’emblée cette expression comme étant une indication d’origine commerciale des produits en question » (TPICE, 24 janvier 2008, Safety 1st, rej, CJCE, 30 janvier 2009, C-131/08).
Les décisions communautaires indiquent ainsi que l’enregistrement d’un slogan n’est pas exclu qu’en raison de son caractère laudatif ou publicitaire, mais seulement si le slogan constitue par ailleurs « un banal message objectif qui serait perçu par le public pertinent comme élogieux », comme « une formule promotionnelle, et non comme une indication de l’origine commerciale des produits ou services » (tel qu’il découle notamment des nombreuses décisions relatives au slogan d’Audi « Vorsprung durch Technik » - « Avance par la technique »).
Au Benelux : what else?
La Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle indique que sont refusées à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarées nulles si elles sont enregistrées, « les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ; les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constante du commerce » (Article 2.2 bis b) et d) de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle).
S’il existe à ce sujet de nombreuses jurisprudences en France, l’Office Benelux de la propriété intellectuelle, quant à lui ne semble recenser qu’un nombre limité de décisions publiées.
Très récemment, l’OBPI a par exemple refusé l’enregistrement de la marque « Urgence sous haute tension » considérant que le signe est « composé des dénominations génériques [urgence] et ‘tension’, la préposition ‘sous’ et la qualité ‘haute’. Ces éléments peuvent servir à désigner l’espèce, la qualité ou d’autres caractéristiques des produits et services mentionnés en classe 9, 16, 35, 38, 41 ». Le signe est donc descriptif et dépourvu de tout caractère distinctif (OBPI, 11 mai 2021, n° 1540643). C’est la même raison qui l’a amené à refuser le slogan « Offrez plusieurs vies à vos contenus » (OBPI, 31 octobre 2011, n° 1039396).
Dans une décision d’opposition, l’Office a encore considéré que le slogan présent au sein de la marque « Riverside – We Clothe the World with quality » était descriptif et que le public « ne considèrera pas un élément descriptif faisant partie d’une marque complexe comme un élément distinctif et dominant de l’impression d’ensemble produite par celle-ci » (OBPI, 24 novembre 2009, n° 2001309).
Dans une autre décision d’opposition, l’OBPI a indiqué que le slogan « un amour de fromage » intégré dans une marque « Caprice des dieux » était « descriptif, élogieux et non distinctif par rapport aux produits revendiqués » et qu’il ne serait « pas considéré par le public comme l’élément distinctif de cette marque » (OBPI, 28 avril 2009, n° 2000539).
L’analyse du registre des marques de l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle (« OBPI ») révèle donc une approche plutôt restrictive vis-à-vis des slogans.
Il reste malgré tout possible de recenser certains exemples en sens contraire, tels que le célèbre slogan « Luxembourg let’s make it happen » (enregistrement n° 1341613 en date du 25 octobre 2016). Le slogan n’avait cependant pas été déposé seul, puisqu’il était accompagné d’autres éléments tels qu’un logo et une typographie stylisée, ce qui a sans doute permis d’accroître son caractère distinctif, favorisant ainsi son enregistrement :
Déposer un slogan à titre de marque : just do it?
Le caractère distinctif étant indispensable à l’enregistrement d’une marque, la protection des slogans par le droit des marques apparaît délicate, tant en raison de la nature même des slogans (leurs caractéristiques intrinsèques semblant souvent difficilement conciliables avec les conditions de validité d’une marque) que d’une certaine imprévisibilité dans l’examen de ce type de marque par les Offices. Tous les slogans ne sont donc pas éligibles à la protection à titre de marque, laquelle semble réservée à ceux qui proposent une véritable recherche conceptuelle, linguistique ou stylistique. En pratique, très peu de slogans seraient ainsi aptes à constituer le caractère de distinctivité exigé.
En outre, même une fois protégé à titre de marque, le slogan reste vulnérable juridiquement. En effet, l’enregistrement du slogan comme marque ne saurait priver les concurrents de l’usage normal des mots courants qui le composent. Il s’agit ainsi d’une marque dont la protection est faible.
Il est donc recommandé de bâtir une véritable stratégie de dépôt en tenant compte de tous les critères précités : parfois, un slogan ne méritera tout simplement pas d’être déposé.
Afin de renforcer les chances d’enregistrement d’un slogan en tant que marque, il pourra s’avérer pertinent d’accompagner le slogan d’un élément plus distinctif, ou encore d’attendre que le marque acquière le caractère distinctif par l’usage : tel était notamment le cas du slogan “Have a break” de Kit Kat. En effet, si à la fois “Have a Break … Have a KitKat” et “KitKat” étaient enregistrés à titre de marque, la question de l’enregistrement de "Have a Break" seul était plus délicate, dans la mesure où le slogan était utilisé en tant que partie de marque et non comme marque indépendante. Dans cette instance, la CJUE a cependant précisé que le caractère distinctif requis pour l'enregistrement d'une marque pouvait être acquis par l'usage de cette marque en tant que partie ou en combinaison avec une marque enregistrée. Il suffit ainsi qu’en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service, désigné par la seule marque dont l’enregistrement est demandé, comme provenant d’une entreprise déterminée (CJUE, 7 juillet 2005, C-353/03).
Enfin, la stratégie de protection du slogan pourra également consister en une « approche combinée », en tentant de s’appuyer concomitamment sur des systèmes de protection alternatifs – tel que le droit d’auteur – en parallèle du droit des marques.